Apprentissage de la lecture au cycle 2
PRINCIPE ALPHABÉTIQUE ET LECTURE
1.
Introduction
2. Les performances en lecture aux âges qui correspondent À la
fin du cycle 2 et du cycle 3
3. À la recherche dexplications
3.1. Contribution des épreuves techniques
3.2. Moment de lautomatisation des procédures didentification
des mots
3.3. Types de pédagogie
4. Des épreuves aux compétences techniques
4.1. Les composantes principales des épreuves techniques
4.2. Contributions des composantes principales
5. Discussion
5.1. Quelle lecture ?
5.2. Quel lecteur ?
5.3. Quelle recherche ?
5.4. Quels apports ?
"La victoire de la raison ne peut être que la victoire de ceux qui raisonnent. " Bertolt BRECHT Introduction
La nécessité proclamée de faire reposer lapprentissage de la lecture sur lexercice du principe alphabétique peut être interrogée par de multiples entrées : déjA par les résultats À terme médiocres dun enseignement dont il constitue la base mais aussi par la manière dont sopère (ou non) le passage des stratégies indirectes qui sont ainsi apprises aux stratégies directes qui semblent celles du lecteur expert, quel que soit le système décriture. Quelle continuité y a-t-il entre une stratégie initiale qui suppose quune forme écrite doit être transformée pour devenir signifiante et la stratégie attendue qui suppose quune forme écrite est signifiante pour lil de la même manière quune forme orale lest pour loreille, et sans subordination de lune À lautre ? Est-il, pour autant, imaginable dapprendre dabord À rencontrer lécrit comme un système linguistique et non comme un système de notation ? Est-il bien raisonnable de refuser dinvestir dans une autonomie immédiate qui permet rapidement À lapprenti de tout " lire " ? En dautres termes, est-il judicieux de renoncer À sappuyer sur la médiation phonologique et dinvestir directement dans les stratégies autonomes quemprunte le lecteur expert ? Faut-il même choisir et ces deux constructions ne seraient-elles pas heureusement complémentaires ? À ces questions, les réponses courantes affirment la nécessité dun enseignement du principe alphabétique et du code de correspondance grapho-phonologique. Cette position qui rencontre le sentiment dun grand nombre denseignants est, pour lessentiel, déduite, prescrite et argumentée À partir de recherches de psychologie. Est rarement abordée, À cette occasion, la question de la pertinence du transfert de conclusions dun champ de recherche À un autre. On voit mal dailleurs quelle puisse lêtre en labsence, du côté de la recherche pédagogique, dune méthodologie alternative et de la mise en uvre de plans expérimentaux prenant appui sur le suivi de cohortes denfants enseignés selon différentes procédures. Cest À un tel travail que lunité Didactique des apprentissages de base sest consacrée depuis 1990 en ayant accompagné une cohorte de 76 enfants dès la fin de la grande section jusquau CE2, répartis selon 3 options pédagogiques, une première qui prétend enseigner directement la voie directe et exclut le recours À la correspondance grapho-phonologique pour entrer dans lécrit, une seconde qui fait explicitement de cette correspondance le principe sur lequel doit se construire le processus de lecture, une troisième qui fait de ce principe un recours et/ou une vérification ni préalables ni séparables du traitement sémantique. Lobservation de la pédagogie ainsi que le recueil des données longitudinales auprès des élèves ont fait appel À un important dispositif(1). Lunité INRP a publié en 1994-95 un rapport de recherche sur cette première étape. En juin 1995 (donc théoriquement en fin de CM2(2)), 59 élèves sur les 76 initiaux ont pu être À nouveau évalués de manière approfondie(3). Nous allons présenter ici quelques résultats, plutôt inhabituels(4), qui nauront le pouvoir de questionner les opinions que de ceux qui sobligent À les construire sur des faits.
Les résultats(6) en fin de CE1 suggèrent quun enseignement qui ne mise pas sur la transformation de lécrit en oral tend À conférer moins defficacité en lecture dans les débuts de lapprentissage comparé aux enseignements qui prennent appui sur le principe alphabétique, bien quon ne constate ici aucune différence significative. Le principe alphabétique produirait un léger gain dautonomie initiale face À des écrits sans doute peu éloignés, dans leur fonctionnement, de ce qui se conçoit À loral. Mais cette différence sinverse dans les années qui suivent, comme si linvestissement relativement coûteux que constitue le choix de rencontrer lécrit en tant que système linguistique autonome (et non comme système de notation renvoyant plus ou moins À loral) libérait ensuite une meilleure efficacité, cette fois significative, face À des textes dont le fonctionnement est de plus en plus spécifique de lécrit. Lanalyse de ces progressions différentes permet davancer une hypothèse : labsence denseignement du principe alphabétique rend difficile lexercice du décodage, mais cette absence de recours À la voie indirecte rendrait plus aisée (plus nécessaire ?) lappropriation dun autre mode de traitement de lécrit, mieux adapté À sa spécificité donc plus efficace À terme(7). On doit auparavant vérifier que ces résultats au CM2 nont pas pour origine lintervention ultérieure : ne serait-ce pas la pédagogie du cycle 3 qui, pour les uns, compenserait les déficits, pour les autres, effriterait les bénéfices et, en dernière analyse, rendrait compte de linversion significative ?
*5 épreuves techniques : - épreuve lexicale donnant un score didentification de mots isolés (présentés ou non dans un contexte phrastique oral), score majoré par la vitesse didentification - épreuve grapho-phonologique mesurant la qualité du déchiffrage de pseudo-mots afin de décrire la connaissance de la valeur sonore, hors contexte lexical, de quelques-uns des phonogrammes de 2 ou 3 lettres parmi les plus fréquents de la langue française - épreuve graphématique mesurant la qualité de lécriture inventée, analysée graphème par graphème, épreuve adaptée de Ferreiro. - épreuve phono-graphique, la même que précédemment mais mesurant la qualité de la transcription phonologique, analysée phonogramme par phonogramme - épreuve " graphique " consistant À répartir des mots possibles en français (mais inconnus) et des mots impossibles car utilisant des trigrammes napparaissant jamais en français dans la position choisie pour le pseudo-mot (construction daprès Content et Radeau, 1988). Ces 5 scores mesurent la réussite À des épreuves qui, si elles ont été bien construites, sollicitent chacune une compétence précise mais il reste difficile dassurer quelles ninterfèrent pas déjA les unes dans les autres. Cest pourquoi, À ce stade, il semble moins hasardeux de parler encore dépreuves techniques que de compétences techniques. À ces variables quantitatives, nous ajoutons deux autres informations : *un indicateur de lévolution de lautomatisation des procédures didentification des mots mesurée au pourcentage de réponses exactes À lidentification de mots isolés ou en contexte (le même principe que lépreuve lexicale mais sans la pondération par le temps de réponse). Trois modalités : - automatisation précoce : 90 % de réussite dès le mois de juin de CP - automatisation moyenne : plus de 70 % À la mi-cours élémentaire - automatisation tardive : moins de 70 % (et parfois même moins de 40 %) À la mi-cours élémentaire *et lindication de la démarche pédagogique - voie directe : aucun enseignement de la correspondance grapho-phonologique afin de privilégier le développement dun traitement autonome du système de lécrit sur des critères internes - voie indirecte : le processus de lecture entend se construire sur le principe alphabétique et lexercice de la correspondance grapho-phonologique - mixte : le recours À la correspondance grapho-phonologique nest pas un préalable mais se construit au sein du traitement sémantique. Le principe de la régression multiple (comme de lanalyse de variance et de covariance) consiste À neutraliser les relations entre les variables explicatives du modèle afin de mesurer la relation isolée (on parle de contribution) de chaque variable À la variation de la variable À expliquer (endogène) lorsque les autres variables explicatives (exogènes) sont maintenues constantes. On peut ainsi espérer cerner leffet propre de chaque variable(9). Nous prendrons donc simultanément ces 7 variables explicatives pour étudier la performance de lecture en fin de CM2. Contribution
des épreuves techniques
En revanche,
2 épreuves techniques contribuent de manière négative
À la performance finale : la capacité À inventer
une écriture correcte au plan des phonogrammes pour des mots inconnus
(épreuve phono-graphique Il nest pas facile dinterpréter des contributions négatives lorsquelles proviennent de variables construites sur la réussite À des épreuves. Car on ne peut concevoir quil soit nuisible dêtre " bon ". Tout au plus est-il concevable que cela puisse ne pas servir. Mais dans ce cas, on devrait observer une absence de contribution significative. On en arriverait À ce paradoxe que, pour bien lire au CM2, mieux vaut, au CE1, faire beaucoup derreurs en transcrivant phonétiquement des mots entendus et se tromper toujours en déchiffrant des mots écrits inconnus. Force est bien dapprofondir le sens de ces contributions. Un premier effort consiste À sortir de la logique induite par une note qui solde comptablement un savoir ou une ignorance et À chercher de manière plus dialectique en quoi le contraire opprimé dun savoir est aussi la possibilité dun autre savoir. En dautres termes, il faut se donner les moyens de penser les variables explicatives comme autant de facteurs reliant deux pôles, deux modalités de comportements réussis (sans préjuger de leur efficacité) et non simplement une présence À une absence. Un second effort consiste À ne pas perdre de vue que la variable endogène nest pas la somme des effets juxtaposés des variables exogènes mais, grâce À la régression multiple, quelque chose lié seulement À leur combinaison(10). Ainsi la contribution des variables explicatives ne doit pas être mécaniquement vue comme une somme qui reconstitue le processus de lecture mais comme ce qui a contribué À son développement. Nous verrons plus loin, en tenant compte de ces remarques, quil est possible dentrer plus avant dans la structuration de ces savoirs techniques et, en conséquence, de mieux saisir leur rôle dans lapprentissage du processus complexe de lecture. Il reste pour linstant À prendre connaissance de la contribution des deux autres variables exogènes.
On retrouverait ainsi le choix difficile entre une autonomie rapidement acquise par des techniques induisant À terme un processus peu efficace et lémergence plus lente de techniques complexes plus favorables À lélaboration dun processus expert. Lexamen des contributions met bien en évidence le rôle négatif de lautomatisation précoce des procédures didentification des mots. Reste pour autant À comprendre ce quun autre usage du temps permettrait de construire de différent.
Cette différence théorique de plus de 17 points autour de la moyenne se retrouve presque intégralement, nous lavons vu, dans les performances réelles (39.5 points contre 55.7). Lanalyse statistique confirme donc la différence significative des moyennes entre les 2 types de pédagogie (tableau 1) en y ajoutant le fait que cette contribution fonctionne au sein du modèle général que nous utilisons, donc après quon ait retiré toutes les variations introduites simultanément par les résultats aux épreuves techniques et par le degré de précocité des dispositifs didentification des mots. Il y a donc incontestablement un effet significatif de la pédagogie du cycle 2 sur la performance de lecture au CM2(16). Pour autant, on na pas encore accès, À ce stade de lanalyse, À ce qui rend positif leffet dune pédagogie de la voie directe et négative la contribution dun enseignement prenant appui sur le principe alphabétique.
Lanalyse en composantes principales permet, en conservant strictement identique linformation, de remplacer la juxtaposition de 5 variables probablement liées, et dont on ne sait pas toujours ni si elles mesurent ce quon croit ni si elles ne mesurent que cela, par une structure de 5 facteurs indépendants mobilisés par ces épreuves.
Première
composante : comme cest souvent le cas, le 1er axe est construit sur un effet
général de niveau de réussite aux épreuves,
en fait À 4 sur 5. Cette 1ère composante exprime un "
effet de niveau technique ". Deuxième composante : le 2ème axe est construit par la seule épreuve graphique. Son niveau de réussite est strictement indépendant du niveau des réussites dans les 4 autres épreuves. Il sagit, dans cette épreuve, de distinguer les formes écrites qui peuvent se rencontrer en français de celles qui ne peuvent exister. Cette 2ème composante rend compte dune familiarité visuelle avec ce qui peut exister À lécrit, dune expérience scripturale, de quelque chose qui, jusqu'ici, a peu retenu l'attention des chercheurs tant il semble évident que le caractère visuel de l'écriture est masqué par sa fonction de transcripteur phonétique, bref du degré dexistence dune " conscience graphique ". Troisième
composante : le 3ème axe se construit sur lopposition
dune épreuve qui invite À prononcer des pseudo-mots
présentés À lécrit et dune épreuve
qui consiste À inventer une écriture satisfaisante au plan
des phonogrammes et de leur ordre. La " nature " de ce facteur
est À chercher dans ce que ces deux épreuves ont de commun
c'est-À-dire lexercice du principe et du code alphabétiques
À travers des correspondances entre oral et écrit. Le "
continuum " de ce facteur se situe dans ce qui distingue ces 2 épreuves,
ici lopposition entre une activité de décodage (de
lécrit vers loral) et une activité dencodage
(de loral vers lécrit). Cette 3ème composante
technique fait ressortir ce qui, dans les épreuves, différencie
des " opérations de transcodage ". Quatrième composante : le 4ème axe se construit sur lopposition de deux épreuves exploitant la même situation, adaptée de Ferreiro, décriture inventée. La nature de ce facteur concerne ce que met en jeu la production dun mot écrit. Quant À son continuum, il va de la restitution correcte des phonèmes (la reproduction de ce qui sentend) À lagencement correct des graphèmes (la production de ce qui se voit). Cette 4ème composante technique réunit ce qui, dans lensemble des épreuves, fait appel À " lécriture " en opposant ce qui contribue À la notation À ce qui relève de lorthographe. Cinquième composante : le 5ème axe se construit sur lopposition entre, dun côté, 2 épreuves qui font travailler sur des unités élémentaires du code (valeur sonore de quelques-uns des phonogrammes de 2 ou 3 lettres pour la première, qualité de lécriture inventée mesurée graphème par graphème pour la seconde) et, de lautre, une épreuve où il sagit didentifier vite et bien des mots isolés ou en contexte. Le continuum de ce facteur est plus aisément visible que sa nature : on passe dune activité qui porte sur des unités linguistiques inférieures au mot oral ou écrit (donc dans tous les cas non signifiantes) À une activité qui porte sur le mot. Il semble prudent de limiter la nature de ce facteur À la taille des unités linguistiques sur lesquelles portent les épreuves(18). Cette 5ème composante techniques concerne donc les " unités linguistiques " de travail.
les composantes sont celles qui organisent les résultats aux épreuves techniques passées en février de CE1. Ce sont, cette fois, des compétences techniques qui sexercent dans des activités qui portent sur lécrit mais qui, même au CE1, ne sont pas de la lecture. La question posée À la recherche est justement de savoir si ces compétences techniques généralement construites par des gestes denseignement et mesurées par des épreuves morcelées ont un rapport avec la performance en lecture mesurée dans sa diversité et en situation aussi réelle que possible. Le tableau suivant montre comment ces composantes techniques décrites en février de CE1 contribuent À la performance de lecture en CM2. Quatre facteurs
sur les cinq identifiés dans les épreuves techniques contribuent
très significativement(20) À
létablissement de la performance de lecture. On sera dautant
meilleur lecteur À la fin du CM2 quon est, en février
de CE1, efficace techniquement sur les unités linguistiques longues
plutôt que sur les éléments simples, sur lécriture
des graphèmes plutôt que sur la notation des phonèmes
et quon témoigne dune forte conscience graphique, c'est-À-dire
de lexpérience de la spécificité visuelle du
fonctionnement de lécrit, le tout sur un fond de bon niveau
général technique. Toutes choses égales par ailleurs,
lélévation au CE1 dune de ces composantes techniques
se répercute positivement sur la performance réelle de lecture
au CM2. Le recours aux composantes principales permet donc de dépasser la difficile interprétation des contributions négatives dépreuves qui sollicitent le savoir transcoder et la mise en correspondance des unités minimales de chaque code. Car il est peu probable que ces savoirs aient en eux-mêmes un effet négatif. Mais leur maîtrise élevée participe À lélaboration dun certain type de processus de lecture et cest ce processus dont on constate la plus faible efficacité. Le recours aux composantes principales permet de confirmer cette hypothèse, de même que, dans la même analyse, rappelons-le, les contributions très significatives, en positif du choix dune pédagogie de la voie directe (pas denseignement du principe alphabétique), en négatif de la précocité de lautomatisation du processus didentification des mots. En résumé, À la question de repérer quelles sont les capacités techniques en milieu de CE1 quil est nécessaire de posséder, daprès notre échantillon, pour développer un processus de lecture performant en fin de scolarité élémentaire, on répond avec des probabilités derreurs très faibles quil est préférable - au niveau de la taille des unités de travail À prendre en compte, dassurer la primauté des unités longues sur les courtes - au niveau de la nature des unités courtes À privilégier, dassurer la primauté des unités qui constituent la forme visuelle (orthographique) du mot sur celles qui restituent sa forme orale - et, dune manière générale(21) au niveau du système linguistique que constitue lécrit, davoir lexpérience (la familiarité) de ce qui est visuellement possible ou non À lécrit, expérience qui permet sans doute de parler de la spécificité dune conscience graphique. À la question de savoir quelles sont les circonstances " scolaires " liées À lémergence de ces capacités techniques et déjA évoquées en 2.2 et 2.3, il est, avec des probabilités derreurs très faibles, préférable - de bénéficier dune pédagogie qui ne donne aucun enseignement de la correspondance grapho-phonologique et qui privilégie les investissements techniques visant le développement dun traitement autonome du système de lécrit sur des critères internes - de ne pas développer précocement, en tout état de cause avant la fin du cours préparatoire, un type de réponse technique(22) qui permet didentifier nimporte quel mot. Cette identification qui apparaît À certains comme une conquête dautonomie favoriserait le développement de processus qui installent une dépendance entre le traitement de lécrit et le recours À loral et sopposent À terme À un véritable comportement autonome de lecture. Ces composantes
techniques issues des épreuves techniques passées en février
de CE1 et les circonstances pédagogiques du cycle 2 contribuent,
on vient de le résumer, À travers une analyse de régression
multiple, À la performance de lecture mesurée en fin de
CM2. Ces contributions, malgré la démarche statistique qui
les construit, nont rien dabstrait ou de théorique.
En témoignent ces différences significatives (p = .01) entre
les résultats en lecture obtenus au CM2 par les élèves(23) selon quils se trouvent au CE1 À un pôle ou À
lautre de deux axes(24) de lanalyse
en composantes principales :
À défaut de définition partagée, on peut opter pour une position plus modeste et admettre que les pédagogues, et parmi eux les professeurs de collège lorsquils accueillent les élèves À la fin de la scolarité primaire, savent assez bien évaluer la lecture. Leur professionnalisme en fait de bons juges(25) de ce quest, en actes, un comportement réussi. Ainsi, les 4 situations de rencontre de textes complexes dont nous sommes partis pour construire une performance globale font-elles aisément laccord des spécialistes. Dans lincapacité de dire ce quest la lecture, on peut au moins être assuré que ce qui différencie les individus de notre échantillon À travers le score quils ont obtenu, cest bien leur qualité de lecteur. Les désaccords entre pédagogues portent sur les moyens de parvenir À cette lecture, pas sur son appréciation. Loption méthodologique du psychologue qui décide quil étudie la lecture lorsquil observe lidentification des mots isolés ne peut rendre illégitime (encore moins inutile) linvestigation par le pédagogue de ce processus complexe du lecteur qui " fait quelque chose " dun message produit, chez lauteur, par la laborieuse rencontre dune intention et de ce matériau linguistique bien particulier quest lécrit. Dans cette perspective détude de la lecture, lidentification des mots est une opération didentification parmi de nombreuses autres, au niveau de la phrase, de la structure densemble du texte, du réseau des anaphores ou du croisement des champs lexicaux, etc. Et tout cela simultanément. Ces opérations font appel À des compétences techniques que favorisent sans doute des investissements pédagogiques. Les enseignants seraient en droit dattendre de la recherche un éclairage sur les relations entre ces compétences techniques et la lecture. Non de la voir réduire À une de ces compétences.
La différence de compréhension du texte est significative À p = .05 entre les 2 groupes. Quant À la vitesse de lecture, le rapport (p = .000) est presque de 1 À 3. Avec un tel écart, est-il assuré que les bons vont simplement plus vite ? Quel est le poids du pédagogique dans les variations interindividuelles(26) ? Dès lors le chercheur est sommé de définir de qui il étudie le processus de lecture afin de ne pas " naturaliser " leffet de niveaux dapprentissage ou de modalités denseignement. Un exemple suffira À signaler le risque dune telle omission : quelques prescripteurs pédagogiques affirment quon " sait aujourdhui que le lecteur fait une fixation visuelle par mot ". Qui est donc ce lecteur ? Nos bons lecteurs À 18000 mots/heure font-ils des fixations trois fois plus brèves que nos lecteurs À 6000 mots ? Trois fois plus nombreuses ? " On " sait quil nen est rien. Une fixation par mot, À raison de 3 couples fixation-déplacement en moyenne À la seconde, cest une vitesse de lecture autour de 11000 mots À lheure, À peu près la vitesse de la parole. Cest aussi la vitesse moyenne quon retrouve dans des enquêtes sur des populations scolarisées dans le secondaire(27). Invariablement, les bons lecteurs de ces populations ont des vitesses très supérieures et les faibles très inférieures. Même si nous faisons lhypothèse que la vitesse a, intrinsèquement, peu À voir avec la qualité de la lecture mais quelle est, pour lessentiel, la conséquence dun processus différent, la précaution méthodologique simpose de préciser quels lecteurs sont observés pour décrire les processus de lecture. Nous avons, précédemment, établi À léchelle de léchantillon dans son ensemble la contribution positive de 3 capacités techniques sur la performance de lecture mesurée au CM2 : primauté des unités longues sur les courtes, primauté des unités qui constituent la forme visuelle (orthographique) du mot sur celles qui restituent sa forme orale, expérience (conscience graphique) de ce qui est visuellement possible À lécrit. Pourtant, À considérer seulement les 40 % les plus faibles, aucune de ces capacités techniques napporte de contribution significative. Et pour les 40 % les meilleurs, une seule capacité, la conscience graphique, contribue, mais alors de manière très puissante puisque sa variation produit À elle seule, toute chose égale par ailleurs, une élévation de la performance de lecture de 22 points, la faisant passer de 64 À 86. On peut donc faire lhypothèse quil existe une relation entre niveau de performance de lecture et manière dont sont mobilisées les compétences techniques. Ainsi chez les faibles lecteurs, il semblerait quon se trouve devant une juxtaposition de compétences sans organisation et sans hiérarchie ; on sait faire des choses mais peu de chose de ces choses. À linverse, du côté des bons lecteurs, le processus sorganiserait en fonction de la spécificité du système linguistique sur lequel sexerce la lecture. Si nous opposons les mêmes individus, cette fois, non par niveau de lecture mais en fonction de la pédagogie qui leur a été appliquée au cycle 2, on observe que, pour les élèves À qui on a enseigné le principe alphabétique, lhabileté À travailler sur les unités longues (plutôt que sur les éléments du code) contribue, comme pour lensemble de la population, significativement (p = .001), À létablissement de la performance de lecture. Mais on nobserve aucune contribution significative de la conscience graphique (expérience de ce qui est visuellement possible À lécrit), absence de contribution dont nous avons vu précédemment quelle caractérise aussi les 40 % de lecteurs les plus faibles. En revanche, À la différence de ce qui caractérise lensemble de notre population, ce sont les unités courtes restituant la forme orale du mot (et non celle qui privilégient sa forme orthographique) qui contribuent positivement (p = .08) À la performance de lecture. Cette information confirme que les démarches pédagogiques centrées sur le principe alphabétique conduisent le lecteur À développer des processus qui privilégient le travail sur les unités du code graphique pertinentes pour établir une correspondance avec les unités du code phonologique. Ce qui est significatif, cest que cette contribution sobserve seulement pour ce type de pédagogie. Le fait quil soit largement majoritaire rend certes plus difficile la perception de la dépendance de ce phénomène À un enseignement particulier. On en vient À prendre pour une caractéristique absolue du processus de lecture ce qui résulte de sa construction par des interventions qui se proposent explicitement de le fonder sur cette correspondance. Et À oublier quun enseignement qui fait le choix inverse crée, dune part, une contribution inverse de cette composante technique et, dautre part, des résultats sans ambiguïté supérieurs ? On a une autre confirmation des effets de la pédagogie, en reprenant lensemble de notre échantillon et en ajoutant dans la régression multiple initiale les covariances entre les cinq composantes techniques et la pédagogie du cycle 2. On observe que les contributions des unités longues et de la conscience graphique conservent isolément toute leur importance. En revanche, la composante écriture(28) et la pédagogie du cycle 2 ne contribuent plus isolément À la variation de la performance de lecture. Ces 2 contributions disparaissent au profit de leur interaction. Nous retrouvons ce que nous évoquions précédemment mais de manière encore plus synthétique puisquici le modèle rend visible ce qui oppose techniquement les lecteurs selon la manière dont ils ont été enseignés. Force est bien de se demander comment a été enseigné le lecteur qui sert de référence aux actuelles prescriptions pédagogiques...
Quels bénéfices peut-on escompter de cette confusion des problématiques, des objectifs et des méthodologies ? Pour ce qui concerne la recherche pédagogique, il semble bien quelle relève dun niveau de définition et dexigence dont nont pas encore besoin dautres disciplines. La lecture apparaît pour elle comme lopération par laquelle un individu, avec tout ce quil sait, se forge un jugement sur un texte. Lire, cest découvrir la question À laquelle lauteur sest confronté par lécriture. Cette définition oblige À situer la lecture À la rencontre de ce qui est produit par lécriture, par un usage linguistique particulier, par lexercice de la raison graphique. De la maternelle À luniversité, de plus en plus de pédagogues, aidés À leur tour par les chercheurs sur lécriture, le texte et la littérature, aident les lecteurs, débutants ou experts, À entrer dans cet univers linguistique nouveau par la rencontre de ce quil sy produit. Ils ressentent létrangeté À quoi se résument les tentatives actuelles dappeler lecture ce que les psychologues étudient. Ils aspirent À dautres complémentarités entre territoires de recherche que cette désignation. Pour le plus grand profit des uns et des autres. Ils en trouvent un exemple dans ce versant symétrique, et par lA simultané, de la lecture que constitue lécriture. Les recherches, aussi bien du côté de la psychologie (cf. M.Fayol) que de la génétique du texte (cf. À.Grésillon) ou des études littéraires, investissent enfin les mêmes champs que la pratique et la recherche pédagogiques. Écrire, pour tous, cest produire un texte et personne ny prétend que ce quil y a, en dernière analyse, de spécifique À lécriture, ce serait de tracer des mots isolés, voire des non-mots, sous prétexte que le texte nest quun cas particulier de production de messages linguistiques. Renonçant À lidée dune production langagière générale qui naurait plus quÀ se traduire dans des langages spécifiques, on fait plutôt lhypothèse que cest de la spécificité simultanée des pratiques langagières(29) que sélabore cette entité abstraite quest la langue qui ne sera jamais linstrument daucune production, même pour celui qui cherche À parler comme un livre. En dautres termes, parler et écrire, ce nest probablement pas penser dabord puis actualiser cette pensée À loral ou À lécrit, si bien quil ny aurait finalement de spécifique À la parole que lémission de mots et À lécriture que leur transcription. La cohérence de lobjet À construire dans léchange oral est dune tout autre nature que dans lécriture. On se trouve confronté À cette réalité dès quon étudie, chez le jeune enfant comme chez lexpert, la production de texte écrit, cette entreprise de rature permanente, ce " passage par lerreur, léchec, lannulation, le zéro, avant daccepter de confier au silence, À lellipse, au non-dit lessentiel, non pas du sens, mais plus important, de leffet de sens. Il faut écrire ce qui sera éliminé pour écrire ce qui ne le sera pas. Imprévisiblement, mais inévitablement, la création de lencore inconnu passe par le négatif, le désordre, le leurre(30). " Les recherches sur lécriture travaillent cette hypothèse difficile que lécriture nest pas une opération distincte de la pensée À lécrit, ni préalable, ni conséquence, mais processus même de production. Il est sans doute plus difficile mais tout aussi fructueux de simposer pour hypothèse que la lecture nest pas une opération distincte de la pensée sur lécrit, ni préalable, ni conséquence, mais processus même de compréhension. Cest cette hypothèse qui respecte le mieux ce quon voit le jeune enfant de maternelle tenter de faire avec les textes quon lui propose, À légal du collégien ou de lexpert. Nous avons essayé de suggérer que la recherche pédagogique pouvait mettre en uvre une méthodologie qui respecte lintégrité et la complexité de lacte de lire en même temps que la nécessité dexplorer la simultanéité des gestes techniques qui le constituent. Au lieu de faire fonctionner des modèles a priori qui ont dabord pour fonction de rendre possible des manipulations de laboratoire par élimination de facteurs difficiles À contrôler, il est possible À la recherche pédagogique de faire se rencontrer une évaluation de la lecture et autant de compétences techniques quon en saura imaginer(31) afin de déterminer lesquelles, en présence de toutes les autres, contribuent À cette performance mesurée dans toute sa complexité. En quelque sorte, cest loutil statistique qui constitue et remplace pour le pédagogue le protocole expérimental créé par le psychologue dans la situation de laboratoire. Nul besoin dans ce cas de réduire ce quon veut étudier À ce quon peut étudier et inutile de besogner la logique pour faire croire quon étudiera dautant mieux la lecture quon aura décidé quelle est tout entière, pour ne pas choisir le pire, dans lidentification de non-mots hors contexte. Lurgence est dans la complexité dun rapport À lécrit quil sagit précisément danalyser et non de réduire À une tautologie(32). Finalement ce qui devrait caractériser lapport de la recherche pédagogique en matière de lecture, cest la contrainte quelle se donne de vivre la nécessité de la classe en prenant en compte simultanément linvestissement quopère lenseignant sur des aspects techniques et lapprentissage que fait lenfant dune manière dêtre lecteur ; dun côté la juxtaposition dune multitude hypothétique de gestes techniques, de lautre une manière réelle dintégrer le recours À lécrit pour ce quil a de spécifique, dans un fonctionnement intellectuel et une relation au monde. La chance méthodologique de la recherche pédagogique réside dans cette double nécessité de suivre cette simultanéité sur les mêmes populations et donc de jouer sur les variables explicatives grâce aux variations pédagogiques. Cette spécificité contribue en retour À lenrichissement des indispensables approches de la lecture par dautres disciplines et dautres méthodologies pour le plus grand profit du débat scientifique.
La question reste en effet mal posée tant quon la réduit À prendre ou non appui sur le principe alphabétique, toutes choses restant par ailleurs inchangées comme si le choix était seulement de nature technique. Selon quon privilégie dans lécriture cette fonction particulière introduite par lalphabet grec de rendre possible lidentification graphique des phonèmes ou quon donne priorité À la commune caractéristique de tous les systèmes décriture, y compris alphabétique, dexercer une pensée visuelle et une raison graphique, on abordera son enseignement comme une technique de notation ou comme lapprentissage inséparable dun mode de pensée et dun code linguistique spécifiques. Cette question du code, dans tous les cas déterminante, est, en outre, lobjet dun redoutable malentendu. Car, dans la continuation de lhypothèse historique dalphabétisation, ce quon appelle code est alors principe et système de correspondance entre deux codes linguistiques dont lun est encore ignoré de lapprenti ; on fait le pari que le code graphique se construira comme produit de la transformation du code phonologique par un principe et une table de correspondance. À linverse, dans un apprentissage linguistique, le code cible se rencontre et se découvre dans ses rapports au message (et non À un autre code), en tant que construction des unités pertinentes et de leur combinatoire (au sens mathématique). Dans la perspective alphabétique, au contraire, lapprenti ne découvre ce code graphique que dans la mesure où il sy heurte, quand ce qui est rencontré diffère de ce qui est attendu, non comme matériau sur lequel se développe le processus de lecture mais comme échec du processus de transcription. Une sorte dobjet en négatif(33). Pour autant, cette correspondance oral-écrit fait aussi partie de la langue (une modalité de linterlangue ?). Sans en faire le pivot de la lecture, pourquoi ne pas lintroduire quand elle vient épauler les processus sémantiques À luvre spécifiquement sur lécrit ? Personne ne soutiendra quun lecteur expert se reconnaît À ce quil serait incapable de prononcer une forme écrite qui nexiste pas (ou quil na jamais vue, ce qui revient au même). Rappelons que les élèves À qui on nenseigne pas le système de correspondance grapho-phonologique le construisent néanmoins avec un différé plus ou moins long(34). Nos résultats suggèrent quil ne sagit pas nécessairement du même processus de correspondance selon quil est abordé initialement comme outil dinvestigation dans un système inconnu À partir dun système connu ou lorsquil sélabore À partir de lexpérience concrète dune correspondance entre deux codes linguistiques dont la construction pour le deuxième se fait, comme pour le premier, sans référence extérieure. Certes, le fonctionnement alphabétique donne rapidement quelques résultats et limpression de savoir tout lire (À condition toutefois de réduire la lecture À la prononciation des formes écrites, leur identification étant déjA une autre affaire). Pour autant, nos résultats montrent que cet avantage sinverse, ce que confirme dune autre manière la contribution négative de lautomatisation précoce du processus didentification des mots. Lincontestable autonomie initiale parasiterait lapprentissage de la lecture en donnant quelques primes À une voie illusoire(35), en enfermant dans un processus de traitement dont linadaptation se révèle dès la rencontre de textes dont la lecture est recherche décriture. Au fond,
la question que les pédagogues posent À la psychologie anticipe
manifestement sur ses capacités dinvestigation : pourquoi
apprend-on mal À lire quand on apprend À déchiffrer
? Difficile de répondre tant quon prend le déchiffrement
pour de la lecture, tant quon ne met pas en présence deux
objets distincts : dun côté une performance de lecture
qui se mesure dans un rapport " remarquable " aux textes construits
par un travail décriture, de lautre des gestes techniques
dont on est loin davoir achevé linventaire mais qui
sont eux-mêmes À construire À partir de situations
sollicitant des opérations sur lécrit ou sur loral.
Nos résultats nous autorisent À dresser un portrait technique
peu ambigu de lélève de CE1 qui deviendra un bon lecteur
À lentrée en 6ème. Il possède cette
capacité À travailler sur des unités longues, ici
le mot(36). Il témoigne aussi
dune compétence au niveau de ces unités distinctives
que sont les graphèmes qui permet détablir une graphie
correcte, de " graphier droit ", dorthographier plutôt
que de transcrire. Le bon lecteur sait que les mots ne se " voient
" pas comme ils se prononcent mais comme des formes visuelles répondant
À une cohérence générative interne retrouvant
linitiale dimension iconique de lécrit. Le bon lecteur
est enfin celui qui, indépendamment de ces deux compétences
précédentes, a développé une conscience graphique.
Ne doutons pas que cette question passionnera les psychologues dans une
quinzaine dannées : de quelle expérience se nourrit
la conscience linguistique du lecteur expert ? Nous avons tenté
ici de la saisir À travers la familiarité de ce qui est
ou non possible À lécrit, en quelque sorte une expérience
de la combinatoire(37). On peut sétonner
du peu détonnement que provoque encore linvocation
compulsive de la conscience phonologique lorsquon parle de lecture.
Cette inconscience dune conscience graphique qui serait À
lécrit ce que la conscience phonologique est À loral
est liée aux présupposés majoritaires des recherches.
Il y aurait pourtant moins daudace pour un scientifique À
faire lhypothèse quune conscience linguistique se construit
dans la fréquentation dun système linguistique que
de pointer un espace vide du ciel en soutenant quil devrait sy
trouver une planète ! Apprendre À lire et À produire
des textes, nest-ce pas développer lexpérience
particulière dun système linguistique particulier
dont la rencontre et lusage engendrent nécessairement une
conscience particulière ? Cette conscience doit être au cur
des questions de lecture : comment la déceler(38),
sur quelles expériences se constitue-t-elle, quels sont ses points
dappui, comment évolue-t-elle, quels sont ses rapports avec
dautres consciences, quel rôle de lenseignement dans
son développement, quelles activités réflexives,
etc.
(1) Travail coordonné jusquau CE2 par Roland Goigoux qui en a fait le matériau de sa thèse (2) Tous les enfants (de même âge À 3 mois près)
terminaient en juin 1990 leur Grande Section. À lâge
normal qui va correspondre pour la grande majorité dentre
eux au CM2, tous ceux qui ont été retrouvés ont été
pris dans lévaluation, quils aient redoublé
ou se trouvent déjA en 6ème. Il sagit donc
de leurs résultats À lâge où ils devraient
être en CM2. (4) et dautant plus facilement vérifiables que les données
jusquau CE2 sont communes À la thèse de R.Goigoux
et À la recherche INRP. Nous les tenons, ainsi que les plus récentes
À disposition. (6) La différence des moyennes nest significative quau CM2 entre voie directe et voie indirecte (p = .02). Les autres différences ne sont pas significatives. Si on oppose les pratiques pédagogiques sur le critère dexclure ou dinclure lenseignement du principe et de la correspondance grapho-phonologique (donc voie directe dun côté, et de lautre voie indirecte et ce que nous avons appelé mixte), la différence des moyennes nest toujours pas significative en CE1 et significative À p=.02 au CM2 en faveur des élèves qui nont pas appris À déchiffrer. (7) Nous ne sommes pas les premiers À observer les effets différés des approches de la lecture ne prenant pas appui sur un enseignement du principe alphabétique. On en trouve par exemple trace dans la recherche de Content & Leybart (1989,1990) que cite L. Sprenger-Charolles dans louvrage collectif dirigé par Michel Fayol : Psychologie cognitive de la lecture (Paris, PUF). En observant le tableau de résultats des élèves ayant reçu un enseignement phonique ou un enseignement global, on voit bien quen 2ème année, les élèves phoniques vont nettement plus vite et donnent un % de réponses correctes plus élevé dans la lecture de mots isolés, fréquents/rares, réguliers/irréguliers que les élèves ayant reçu un enseignement global. Mais ces différences sannulent en 4ème année et sinversent totalement en 6ème année. À ce moment, on découvre que si le % de réponses correctes est le même en ce qui concerne les mots réguliers (fréquents ou rares), il est très nettement supérieur pour les classes globales pour les mots irréguliers (fréquents ou rares). Et le temps de réponse (qui semble un bon indicateur du degré de maîtrise dune opération) est systématiquement plus court dans les classes globales, quel que soit le type de mots, et ceci en moyenne de plus de 25 %. (8) Pourquoi celles-lA, et À cette date ? Cest en février de CE1 quil a été procédé À la dernière passation dépreuves comme bilan de lapprentissage initial dans le domaine de compétences techniques. Nous faisons bien la différence entre, par exemple, lidentification de mots dont nous supposons quelle contribue À la lecture et la lecture elle-même qui est un processus complexe et global pour comprendre des textes écrits. Il nous semble que lobjet de la recherche consiste À trouver en quoi et comment des " gestes " techniques (comme lidentification de mots isolés ou la prononciation de pseudo-mots) contribuent À la réussite de lacte de lecture et non À affirmer, sans en construire la preuve, quils " sont " la lecture. (9) La régression multiple permet de " recalculer " la variable endogène À partir dune constante et de coefficients appliqués À chaque variable exogène. Cest cette constante qui est représentée dans les graphiques. Les différences entre les valeurs observées et les valeurs recalculées donnent une indication de lefficacité du modèle À travers sa capacité À réduire la variation interindividuelle (décrite par lécart-type). (10) Le R² (coefficient de régression multiple) exprime la capacité du modèle À rendre compte de la variation du résultat À expliquer. Il est ici de .46 (11) F= 4.99 pour un ddl 2/49 signif. À p = .01 (12) Le moment de laccès À lautonomie des procédures
didentification des mots semble un critère qui différencie
très nettement les types de pédagogie comme en témoigne
ce tableau croisé répartissant les élèves
(13) La contribution est forte puisquelle joue sur un intervalle dune quinzaine de points de part et dautre de la constante, même si, À larrivée (sans doute parce que leffet négatif de cette précocité est partiellement compensé par lefficacité quelle permet dacquérir, notamment À lépreuve lexicale) la pénalité réelle sur la performance de lecture au CM2 est seulement dun peu plus de 9 points. (14)À ski, un apprentissage initial du virage " en chasse-neige ", efficace pour, en quelques jours, passer nimporte où, semble contaminer durablement lexercice du virage expert par flexion-extension avec skis parallèles. Deux gestes qui ne sont assurément pas dans le prolongement lun de lautre et mettent en uvre des modes antagonistes de réalisation de léquilibre dynamique. Cest donc une chose de dire que pour exceller dans une langue étrangère, mieux vaut dabord être nul en thème et en version et une autre de dire quil est préférable de ne pas recevoir un enseignement qui vise initialement À réussir thème et version. (15) F= 3.67 pour un ddl 2/49 signif. À p = .03 - introduire dans le modèle la performance de lecture À lissue du CE1 parmi les variables explicatives. On constate que la performance CE1 apporte une contribution significative (p = .007)et que dans le même temps leffet du type de pédagogie disparaît (F= 1.09 pour un ddl 2/48 NS). Ce double mouvement autorise À penser que leffet de la pédagogie au cycle 2 est déjA inscrit dans la performance À la fin du CE1. - prendre la performance de lecture À la fin du CE1 comme variable À expliquer par les 7 variables explicatives du modèle initial. On constate que le modèle est très robuste (R²=.84). Deux variables seulement ont une contribution significative : le résultat À lépreuve lexicale (p = .000) et le type de pédagogie (F=8.54 pour un ddl 2/49 signif. p = .0006) avec le même sens de contribution, positif pour la voie directe, négatif pour la voie indirecte. (17) On ne tiendra pas compte ici de la valeur propre de chacun de ces nouveaux axes puisquil est nécessaire de les conserver tous afin de retrouver À lidentique la totalité de la variance initiale des résultats. (18) Cette question dunités linguistiques inférieures ou au moins égales au mot pourrait sans doute être décrite aussi en terme daccès À un signifiant, donc dans une perspective sémantique. (19) Nous avons retourné les 3 premiers axes (multipliés par -1) de lanalyse en composantes principales dans un souci de lisibilité des résultats de la régression multiple afin de ne pas avoir À parler de la contribution négative dun résultat positif (20) Les t pour un ddl de 49 vont de 3.796 À 2.023 (p = .000 À p = .049) (21) Rappelons que par construction de lanalyse factorielle, les axes (les composantes principales) sont strictement indépendants, c'est-À-dire quil ny a aucune corrélation entre eux. Les 3 contributions que nous citons ne sont pas 3 manières de dire la même chose mais 3 compétences techniques distinctes qui contribuent chacune positivement et indépendamment À la performance de lecture, même sil est visible que ces 3 compétences dessinent une manière cohérente dêtre lecteur qui soppose À une autre manière dont lefficacité est significativement inférieure. Si on compare les individus qui sont simultanément aux pôles négatifs de ces 3 facteurs À ceux qui sont aux pôles positifs, on observe une variation du simple au double (34 points contre 66) de la performance de lecture au CM2. (22) LA encore, ces 2 conditions ne sont pas 2 manières différentes de dire la même chose. Leffet de la précocité sobserve différemment selon que les pratiques pédagogiques choisissent ou non denseigner le principe alphabétique mais, même dans le cas où il est enseigné, lavantage de la précocité est faible et absolument pas significatif. (23) Il sagit de 80 % de notre échantillon (40 % À chaque extrémité de laxe). (24) Pour les autres axes, les différences existent également mais elles ne sont pas significatives. Il est impossible de recréer dans un tableau de résultats ce qui correspond À la formule " toutes choses égales par ailleurs " de la régression multiple. (25) Au sens que ce mot revêt dans les protocoles scientifiques. (26) Nous ne développerons pas cet aspect pour ne pas alourdir la conclusion
mais les différences existent selon les types dinvestissement
technique.
la différence des compréhensions nest pas significative, celle de la vitesse lest. (27) Cest, approximativement, la vitesse moyenne de notre échantillon mais, on sen doute, avec un écart-type considérable important. (28) construite sur une épreuve décriture inventée (inspirée de Ferreiro) et opposant la réponse observée phonème par phonème À celle graphème par graphème (29) On rejoint par une autre voie la question des bilinguismes. (30) Bernard cerquilini, 1989, in Louis hay, La Naissance du texte, Paris, José corti, p 105-120. (31) Nous ne reviendrons pas sur lurgente modestie de ne pas confondre le résultat dune épreuve conçue pour mesurer une capacité technique avec la mesure de cette capacité, comme si loutil offrait lassurance de mesurer ce pour quoi il a été conçu et de ne mesurer que cela. Doù lintérêt méthodologique didentifier les compétences techniques À travers des analyses en composantes principales portant sur de nombreuses épreuves destinées déjA À isoler un geste technique. Par exemple, dans notre étude, la compétence technique construite par le 5ème et dernier axe de lACP (et qui oppose ce qui est techniquement en jeu dans le travail sur des unités inférieures au mot À ce qui permet de travailler sur le mot) naît dans le rapport de 3 épreuves mais na été le principe de construction daucune de ces épreuves. Il se trouve que cette composante technique contribue de manière très significative dans lanalyse de régression multiple À la performance de lecture. Pourtant, dans lACP qui a permis de la découvrir, sa valeur représente 1.57 % de la somme des valeurs propres (32) Le mot est faible lorsquon voit le nombre de chercheurs qui concluent À la valeur prédictive de la conscience phonologique À partir de protocoles où le dispositif pédagogique repose sur la médiation phonologique et où la " lecture " est massivement évaluée À travers lidentification de mots... (33) On se souvient des méthodes de lecture dautrefois qui mettaient en petits caractères ou dune autre couleur les lettres quon ne prononçait pas et dont la présence troublait lharmonie du système de correspondance. (34) dont on ne sait pas encore sil sexplique par la complexité de ce qui est À construire ou dans la probable imperfection des apports pédagogiques. Une raison doptimisme tient dans le fait que la pédagogie de la voie directe en est encore À ses débuts et quelle ne peut que progresser tandis que les techniques dalphabétisation ont depuis 150 ans atteint une perfection qui rend illusoires les exhortations perpétuelles À les employer pour remédier À la médiocrité des résultats quelles donnent. (35) Voie suffisante dans une perspective dalphabétisation de masse où, somme toute, le besoin en lecteurs experts change peu. Voie dont on mesure linadéquation depuis 30 ans dès lors quest visée une scolarité secondaire pour lensemble dune classe dâge et que révèlent les évaluations nationales À lentrée en 6ème (moins de 20 % des élèves font preuve de ces compétences remarquables qui permettent de comprendre ce quun texte veut dire au delA de ce quil dit explicitement). (36) Les épreuves que nous avons utilisées en février de CE1 ne proposaient pas un travail sur des unités linguistiques supérieures au mot. Dans une autre étude sur la même population mettant en relation la performance de lecture et, cette fois, les compétences techniques mesurées au CM2, on observe une contribution très significative de la capacité À travailler sur des unités plus longues, au moins du niveau de la phrase. " Le bon lecteur témoigne de lhabileté, presque au sens dagilité, À créer des hypothèses de sens et À les faire fonctionner sur des éléments graphiques alors que le mauvais lecteur est plutôt du côté de la fusion, de la construction À partir de ces éléments. " (D. Foucambert, 1997) (37) au sens dune combinaison d'éléments qui, formant un ensemble, ont des positions relatives variables de nombre limité. (38) On trouve un exemple, pour rester sur le même, de cette conscience méconnue dans les résultats de Content et Leybart que nous évoquions dans la note n° 7. Pourquoi les élèves À qui na pas été enseigné le principe alphabétique commettent-ils moins derreurs sur les mots dits irréguliers ? Quel savoir ont-ils développé qui leur permet didentifier tous les mots, réguliers ou non, beaucoup plus vite que les élèves qui ont construit leur rapport À lécrit sur la médiation phonologique ? Peut-on faire durablement léconomie de ces réponses ? |